L’art de romantiser le monde. La peinture de Caspar David Friedrich et la philosophie romantique de Novalis

Laure Cahen-Maurel

Münster/Berlin, LIT-Verlag, 2017.

La réflexion sur le romantisme est ici orientée dans une voie philosophique nouvelle qui part de la plastique picturale, en particulier de la pratique singulière de Caspar David Friedrich (1774-1840), dont le simple nom a valeur aujourd’hui paradigmatique d’un romantisme typiquement germanique. Un concept précis, la romantisation du monde, est au centre de l’étude. Formulé en un programme explicite par Friedrich von Hardenberg (1772-1801), alias Novalis, dans un fragment dont les premières lignes sont devenues célèbres – « Le monde doit être romantisé. C’est ainsi que l’on retrouvera le sens originel » –, cet élément de la doctrine romantique demeure pourtant rarement approfondi philosophiquement par les commentateurs. L’objectif de l’ouvrage est ainsi de repenser le système antérieur d’interprétation du romantisme allemand par les catégories constituées de la littérature et de la critique, de l’autotélisme et de l’ironie. Ce faisant, le livre ne se borne pas à explorer la nature de l’art de Friedrich en tant qu’art « romantique » ; il entend aussi apporter une contribution aux recherches sur la philosophie romantique. La découverte des œuvres de Friedrich vues par Hegel à Dresde permet d’élucider la critique dont le style du peintre fait l’objet dans le premier cours d’esthétique berlinois de 1820/21, critique sur laquelle la recherche ne s’est guère, voire pas du tout penchée. L’ouvrage étudie également la question du rapport que la peinture de Friedrich mais aussi la philosophie romantique entretiennent avec la catégorie du sublime, ainsi que la conception novalissienne du paysage. De la même façon que la conception du sublime chez Novalis prolonge une réflexion de Kant en y adjoignant une théorie de l’imagination poétique inspirée du philosophe platonicien Frans Hemsterhuis, la conception novalissienne du paysage prolonge pour la dépasser la pensée d’August Wilhelm Schlegel en lui amalgamant par syncrétisme une référence à Herder. Novalis pense ainsi, à la croisée de deux âges, l’antique et le moderne, quelque chose comme un paysage-corps ; nous montrons comment il donne sens, en détournant l’esthétique herdérienne, à ce concept paradoxal qui dit non plus la chair des apparences – leur magnification qui leur confère une épaisseur propre dans la perspective phénoménologique de Schlegel – mais la chair du monde. Ni recherche d’influence du poète-philosophe sur le peintre, ni projection sur la peinture d’un savoir extérieur qui ferait des œuvres une simple illustration de la théorie : mais la question laissée ouverte d’un rapport de la peinture à la philosophie, avec pour visée de déterminer sa nature exacte au terme d’une enquête immanente. Il apparaît alors que ce que le style de la peinture de Friedrich fait, plutôt qu’il n’exprime ou signifie, est conforme à la problématique de la révélation condensée dans le fragment de Novalis, qui définit la « philosophie romantique » comme opération de « potentialisation qualitative » : la communication ou le contact entre deux pôles, le monde extérieur et le monde intérieur, l’esprit et la nature.

Lectures relatives